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11 septembre 2021 6 11 /09 /septembre /2021 13:46

Gérard CHAROLLOIS

CONVENTION VIE ET NATURE

Un texte ci-joint dont j’approuve 80% de l'analyse

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Éoliennes : ces débats décisifs trop souvent escamotés

9 septembre 2021 Par Laurent Mauduit

Certains dignitaires socialistes ou écologistes appuient la création de parcs éoliens au motif qu’il faut privilégier les énergies renouvelables, mais ils ne s’offusquent pas que ces projets accentuent la privatisation du service public de l’électricité au profit de groupes prédateurs. Illustration avec les éoliennes de la baie de Saint-Brieuc.

 

Pour ou contre les éoliennes : le débat autour du projet de parc éolien dans la baie de Saint-Brieuc est souvent présenté sous cette fausse idée. Et il se trouve des citoyens de bonne foi qui, partisans d’une réorientation de la politique énergétique du pays au profit des énergies renouvelables et au détriment des énergies fossiles ou de l’énergie nucléaire, soutiennent le projet d’installation de ces 62 éoliennes géantes de 205 mètres, qui doivent être construites dans la baie de Saint-Brieuc, au terme de la concession accordée pour 40 ans par l’État à la société Ailes marines, filiale du géant espagnol Iberdrola.

Si tel était le débat, le choix relèverait effectivement du simple bon sens. Alors que la planète est sous urgence climatique absolue, il est plus que temps d’accélérer la transition énergétique. Et donc, parmi d’autres solutions, de privilégier l’énergie éolienne.

 

 

On n’est pourtant pas obligé d’être naïf, car le débat que soulève le projet de parc éolien dans la baie de Saint-Brieuc est en réalité pollué par un fait majeur qui modifie radicalement la donne : il s’agit d’un projet de prédation, très révélateur de l’accélération des privatisations, qui démantèlent jusqu’aux services publics et offrent aux appétits privés les biens communs. 

À ne pas prendre en compte les ravages que peuvent causer les avancées de plus en plus spectaculaires de ce capitalisme prédateur, on risque d’amener les combats écologiques les plus légitimes vers des impasses. Comme si des acteurs majeurs de ce capitalisme néolibéral, à l’image d’Iberdrola, pouvaient être présentés comme des acteurs… de la transition énergétique et de l’urgence climatique. Alors qu’à l’inverse, c’est ce capitalisme financiarisé qui pousse la planète vers la catastrophe…

Manifestation des pêcheurs, le 7 mai 2021.

Il faut donc remettre le débat sur pied : s’il y a un danger qui l’emporte sur tous les autres, c’est que nos sociétés ont versé dans un capitalisme prédateur, qui fait du social une variable d’ajustement, et qui contribue à saccager l’environnement, en n’ayant qu’une seule logique, celle du profit maximum. Ce capitalisme financiarisé, je me suis appliqué à en présenter l’infernale mécanique dans mon dernier ouvrage Prédations (Éditions La Découverte) paru voici un an. L’un de ses ressorts, ce sont les privatisations qui, en France, se sont progressivement accélérées et ont conduit à une marchandisation généralisée, y compris des secteurs qui échappaient jusque-là aux logiques de l’argent : privatisation progressive de la santé et de la Sécurité sociale, de l’enseignement supérieur, jusqu’à des services de l’État...

Pour comprendre le véritable enjeu du débat autour du parc éolien dans la baie de Saint-Brieuc, il faut donc avoir à l’esprit les caractéristiques de ces privatisations qui ont submergé la France et perverti jusqu’à son modèle social.

 

 

* Première caractéristique – et premier gravissime danger induit par ces nouvelles privatisations : elles soumettent désormais à la logique du profit maximum jusqu’aux services publics, construits pour beaucoup d’entre eux à la Libération, pour garantir aux citoyens l’égalité d’accès à des services décisifs à la vie sociale. On sait les ravages que cette vague de privatisations a suscités en France, car face à ce capitalisme boulimique, tout y est passé : le service public du téléphone (porté par France Telecom), puis celui de l’électricité (EDF), puis celui du gaz (GDF). Et ceux du transports ferroviaire ou le service public de La Poste sont en voie de connaître le même processus, sous le prétexte de la dérèglementation européenne.

 

 

* Deuxième caractéristique : ces nouvelles privatisations ont souvent eu pour effet d’offrir aux vainqueurs des appels d’offres des rentes financières aussi exorbitantes que scandaleuses. Le cas le plus célèbre est celui de la rente autoroutière. Voici bientôt un an, un rapport du Sénat en a donné un aperçu en donnant un chiffrage des dividendes insensés que se sont partagés les actionnaires des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA), depuis leur privatisation en 2006. Pour mémoire, voici ce chiffrage que j’avais évoqué à l’époque dans une enquête dans Mediapart : dividendes

De 2006 à 2019, les actionnaires des trois principales sociétés autoroutières se sont ainsi servi la somme mirobolante de 24,3 milliards d’euros. Et le Sénat a cherché à savoir à combien cette somme serait portée si les dividendes étaient distribués au même rythme jusqu’à la fin des concessions : les actionnaires des trois principales sociétés concessionnaires d’autoroutes pourraient se servir environ 69,5 milliards d’euros de dividendes sur la période des concessions, soit de 2006 à 2035 ou 2036 – 69,5 milliards qui sont à comparer aux 14,7 milliards d’acquisition. À l’aune de ces chiffres, on comprend pourquoi il n’y a rien d’excessif à user du terme de pillage. Sur le dos des automobilistes...

Or, on sait qu’après la rente autoroutière, il y a eu ensuite la rente aéroportuaire, l’État permettant aux acquéreurs des sociétés de gestion des aéroports de Toulouse, Nice et Lyon de faire des culbutes financières insensées. Dans le seul cas de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, j’ai apporté la preuve des mensonges proférés par Emmanuel Macron lors de cette privatisation, mais j’ai aussi apporté de nombreuses preuves du pillage auquel s’est livré l’investisseur chinois, qui a d’abord ponctionné les réserves financières de l’entreprise mises en réserve pour les investissements futurs, avant de chercher à revendre sa participation pour 500 millions d’euros, alors qu’il l’avait acquise quatre ans plus tôt pour 308 millions d’euros. Et les privatisations des aéroports de Nice et de Lyon ont donné lieu aux mêmes dérives spéculatives, chroniquées par Mediapart.

 

 

* Troisième dérive : ces privatisations ont donné matière, le plus souvent, à un affairisme débridé.

* Quatrième dérive : le trait commun de toutes ces opérations est d’avoir été conduites dans une logique financière, au mépris des logiques sociales, humaines ou environnementales.

Or, tout est là ! Si l’on observe le projet de parc éolien, il présente exactement les mêmes caractéristiques : cette privatisation est semblable à toutes celles que je viens de passer en revue. Car c’est bien le premier point sur lequel il faut se mettre d’accord : il s’agit bel et bien d’une privatisation. Pour être exact, c’est même une double privatisation. Primo, c’est une opération qui vise à accentuer la dérégulation du service public de l’électricité, en cassant le monopole dont EDF a longtemps bénéficié, qui était la garantie de l’égalité d’accès des citoyens à ce service public. Et à cette première privatisation s’en ajoute une seconde, celle de l’espace public maritime, qui devrait être un bien commun inaliénable. Ce que j'avais résumé par ce titre de ma première enquête : « Éoliennes en baie de Saint-Brieuc : et maintenant, c’est la mer qu’ils veulent privatiser ».

 

Là est l’une des très grandes hypocrisies du débat autour des éoliennes. Certains voudraient faire croire qu’il s’agit d’une controverse portant seulement sur la politique énergétique (énergie renouvelable versus énergie polluante, etc), et faire oublier qu’il s’agit d’un projet qui vise à démanteler le service public au profit de groupes dont la seule logique est le profit.

Au titre des hypocrisies, on pourrait ainsi citer celles de Yannick Jadot, qui est venu à Rennes lundi 6 septembre et qui, selon Le Télégramme, a apporté son soutien au projet des éoliennes dans la baie de Saint-Brieuc, même si c’est avec des formules alambiquées : « Il faut aller vers l’éolien et aussi vers l’éolien offshore. Quelle que soit l’énergie, il y a une pollution. Le parc de Saint-Brieuc doit faire l’objet de discussions. Il faut prendre toutes les précautions possibles afin qu’il fasse l’objet d’un consensus plus large. Mais il est important que la Bretagne et la France développent l’éolien offshore. Cela crée des milliers d’emplois, cela permet l’indépendance énergétique. Nous avons un retard considérable à rattraper. »

 

 

Du service public, le candidat à la primaire écologiste n’a donc pas soufflé mot. Et par surcroît, il a voulu faire croire que de tels projets pouvaient créer « des milliers d’emplois », alors que, s’il y a bien un consensus dans les Côtes-d’Armor, c’est qu’Iberdrola a berné l’opinion sur des emplois… qui n’ont finalement jamais été créés.

Au titre des hypocrisies, on pourrait encore citer les dirigeants socialistes qui défendent désormais les services publics, et assurent que sur ce point, on ne les reprendra plus, comme sous François Hollande, à prôner leur privatisation. Voilà quelque temps, on a même vu le PS être à la manœuvre pour proposer un référendum contre la privatisation d’Aéroports de Paris, dans le but de « garantir le caractère public » de ces infrastructures. Ce qui n’empêche pas le président socialiste de la région Bretagne de défendre le projet de privatisation d’une partie du domaine public maritime au profit du groupe espagnol Iberdrola.

Pour preuve qu’il s’agit bel et bien d’une privatisation du secteur public, dont EDF était autrefois le garant, il y a encore un autre indice, mi-comique, mi-consternant. On se souvient en effet que la concession de ce parc éolien a été accordé de manière irrégulière à Ailes marines puisqu’il était arrivé second de l’appel d’offres en 2011, derrière la société Éolien maritime France, contrôlée à 50 % par EDF. C’est ce qui a conduit le Comité des pêcheurs à déposer une plainte auprès du parquet national financier (PNF) des chefs de « recel de favoritisme ». C’est donc EDF qui aurait dû remporter la concession, et sa candidature a fait l’objet d’un « rejet illégal », selon le constat ravageur du Conseil d’État.

 

Or, quel argument le gouvernement de l’époque a-t-il avancé pour justifier le viol de la procédure d’appel d’offres au détriment d’EDF ? C’est rappelé dans la plainte devant le PNF : « Les ministres ont noté que la candidature d’Éolien maritime France devait être rejetée au motif qu’il fallait “répartir l’effort industriel sur plusieurs candidats afin de privilégier une répartition des risques sur plusieurs opérateurs […] et de minimiser les risques d’exécution du programme d’ensemble”. Cette condition n’avait pourtant pas été prévue dans le cahier des charges. » Dit autrement, il fallait sortir de la situation de monopole dont bénéficiait jusque-là EDF, et qui garantissait l’égalité d’accès des citoyens au service public de l’électricité.

Et de ce viol de l’appel d’offres qui permet à Iberdrola d’être à la pointe de la dérégulation du marché de l’électricité et du démantèlement du service public, que pense l’écologiste Yannick Jadot ou le président socialiste de la région Bretagne ? On serait intéressé à le savoir.

Car de deux choses l’une. Soit les pêcheurs des Côtes-d’Armor ont raison d’avoir déposé cette plainte contre un éventuel délit de favoritisme – comme ils ont porté plainte pour une violation de la Charte de l’environnement ; et, dans cette hypothèse, les dirigeants écologistes et socialistes devraient tout faire pour les soutenir. Soit ils considèrent que la violation de l’appel d’offres, qui a apporté ce projet contre toute attente à Iberdrola, serait chose mineure ; et, dans cette hypothèse, les mêmes devraient avoir la franchise de le dire sans détour, au lieu d’évoquer la nécessité d’un « consensus plus large », dont personne ne comprend ce qu’il pourrait bien être.

 

Il faut d’autant moins être naïf que des groupes comme Iberdrola ne sont pas les seuls à avoir lorgné avec convoitise sur le développement des éoliennes. Depuis de longues années, de nombreux milliardaires français ont aussi compris qu’il s’agissait d’un investissement très juteux et, le plus souvent via leur « family office », ont pris pied sur ce marché. Pour le vérifier, il suffit de consulter la presse financière spécialisée, où l’on trouve à foison des histoires d’investissements spéculatifs conduits par ces « family office » dans l’éolien, sur terre ou sur mer, par exemple ici , là, ou encore là. Il est donc difficile de défendre le développement des éoliennes sans prendre en compte l’économie si particulière qui a pris forme autour de ce nouvel eldorado financier.

Un autre trait commun entre cette privatisation, et toutes les autres qui ont bousculé le modèle français, c’est que, cette fois encore, le bénéficiaire de la concession va profiter d’un gain financier exorbitant que rien ne justifie. Après la rente autoroutière, puis la rente aéroportuaire, voici en effet la rente maritime !

Dès la première enquête de Mediapart, j’ai pointé cette rente scandaleuse offerte par Emmanuel Macron au groupe Iberdrola. Les travaux à la charge de la firme espagnole pour construire le parc éolien sont en effet évalués à 2,3 milliards d’euros, tandis que les tarifs de rachat de l’électricité qui lui sont concédés lui garantissent, quoi qu’il arrive, des recettes avoisinant au moins 4,7 milliards d’euros. Autrement dit, Iberdrola a reçu l’assurance de l’État de pouvoir réaliser un bénéfice net d’au moins 2,5 milliards d’euros, quels que soient les fluctuations du marché. Autrement dit, nous sommes là dans un capitalisme qui n’a rien de libéral. Il s’agit bel et bien d’un capitalisme prédateur.

Et si cette rente est possible, c’est qu’Emmanuel Macron a accordé à Iberdrola un prix de rachat de l’électricité hors norme. Le tableau ci-contre établit que, de tous les parcs éoliens offshore comparables, celui de la baie de Saint Brieuc est celui qui profite du tarif de rachat le plus élevé. CQFD ! C’est bel et bien une rente puisqu’il s’agit d’un tarif administré, garanti pour les 20 ans de la concession.

 

 

Du caractère prédateur de ce capitalisme, il y a d’ailleurs de nombreuses autres illustrations, tristement fournies par ce projet de parc éolien, qui organisent un saccage préoccupant de la flore et de la faune si riches de la baie de Saint-Brieuc, comme l’a si bien documenté l’association de défense de l’environnement Gardez les caps.

Cette privatisation partielle de la baie de Saint-Brieuc au profit du très sulfureux groupe espagnol Iberdrola soulève donc de très nombreuses questions économiques, sociales, environnementales que ces dignitaires socialistes et écologistes seraient mieux avisés de regarder en face, plutôt que de louvoyer. Mais au-delà, elle pose aussi une question démocratique majeure, qui est tout aussi souvent occultée : qui décide ? et de quel droit ?

Dans mon livre Prédations, je m’arrête longuement sur le débat autour du rôle de l’État. Car, comme dans un choc en retour, certains citoyens, légitimement effrayés par les ravages des privatisations, peuvent penser qu’il faut défendre la propriété de l’État contre cette extension sans fin du privé et le système de marchandisation généralisée qu’il induit. Or, à l’évidence, cette opposition entre la propriété publique et la propriété privée – sur laquelle la gauche a fondé ses principaux combats pendant des lustres – est une fausse idée. Car le capitalisme d’État se comporte, en vérité, aussi mal que le capitalisme privé.

Les ravages des privatisations invitent donc non pas à un retour à la propriété publique, mais bien plutôt à inventer un monde nouveau, régi par une autre logique, celle des biens communs. Et, dans cette nouvelle approche, économique et démocratique, on se prend à rêver d’un monde qui assurerait la protection des biens communs, lesquels seraient inviolables, inaliénables, inspéculables, à commencer par les biens communs les plus essentiels de tous, comme l’air et l’eau. Et donc aussi la mer.

Il ne faut donc pas aborder le débat sur les éoliennes par le petit bout de la lorgnette. Il faut le replacer dans un cadre plus général : dans l’hyper-capitalisme dans lequel la France a versé, le propriétarisme se fait envahissant et cherche à s’insinuer dans tous les espaces publics qui ne sont pas encore gangrenés par la logique du profit, et régis par d’autres règles, celles du service public (égalité d’accès, péréquation des tarifs…), celles de la solidarité (protection sociale…) ou celles du mouvement coopératif ou mutualiste.

 

Dans ce nouveau capitalisme, plus aucune limite : tout doit lui être assujetti, y compris les biens communs essentiels à la vie. On assiste dès lors à une extension spectaculaire du droit de propriété.

C’est cette spirale sans fin qu’il faut briser – et il serait triste que le débat de la primaire écologiste puis le débat de la campagne présidentielle ne l’aborde pas : il y a une urgence à répondre à une double aspiration – une aspiration à renouveler le débat sur la propriété, à le dépasser, en consacrant l’existence de biens communs inaliénables ; et une aspiration à trouver de nouvelles modalités de gestion démocratiques qui fassent que ces biens communs soient administrés par les citoyens eux-mêmes.

C’est précisément à cette réflexion qu’invite le débat autour des éoliennes de la baie de Saint-Brieuc. Car le moins que l’on puisse dire, c’est que les pêcheurs de la baie se sont montrés responsables. Pour ne pas épuiser les ressources disponibles, et notamment les gisements de coquilles Saint-Jacques, pour permettre l’exploitation responsable et durable des stocks, la profession a accepté depuis 1960 un encadrement strict de la pêche, avec un octroi limité de licences de pêche et des temps de pêche eux-mêmes très bornés, avec une interdiction totale de la pêche pendant les périodes de reproduction, de la mi-mai à début octobre.

Alors, il est révoltant de constater qu’une profession se montrant aussi responsable soit subitement chassée de l’une de ses zones de pêche, au profit de puissants intérêts financiers. Et qu’elle n’ait pas voix au chapitre, pas plus que les riverains ou les associations de défense de l’environnement.

Du même coup, on en vient à se demander pourquoi certains leaders écologistes ou socialistes appuient ce projet de parc éolien, en faisant mine d’oublier qu’il est l’une des multiples offensives contre le service public conduites par la finance ; et pourquoi les mêmes omettent de s’indigner de l’autoritarisme dont fait preuve la puissance publique, allant jusqu’à dépêcher la marine nationale contre les pêcheurs, pour imposer un projet sulfureux et contesté.

 

 

C’est le grand intérêt du débat autour des éoliennes de la baie de Saint-Brieuc : il invite à un premier débat sur le capitalisme prédateur qui saccage en France les services publics et ne connaît plus aucune borne dans sa volonté d’appropriation des biens publics ; et il invite à un second débat, tout aussi urgent, sur la gouvernance démocratique qui devrait permettre aux citoyens de n’être pas dépossédés des biens communs et de les administrer eux-mêmes. 

Un double débat qui concerne la baie de Saint-Brieuc, mais qui mériterait tout autant de constituer un enjeu de la présidentielle : comment aller au-delà de la propriété ? Et comment refonder la démocratie ?

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6 août 2017 7 06 /08 /août /2017 10:46

La lettre de Gérard CHAROLLOIS                                                                                                                                                           le 06 aout 2017 

 

 

 

L’extinction de l’humanité ?


 

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, en 70 ans l’humanité a triplé passant de deux milliards cinq cent millions à sept milliards cinq cent millions d’humains.

Chaque année, la bombe démographique fait croître de près de cent millions le nombre des humains et en 2050, l’Afrique devrait doubler sa population.

Or, l’homme s’avère un animal gravement déprédateur par sa consommation insatiable, par son agressivité envers les autres espèces et occasionnellement envers sa propre espèce.

Ses facultés cognitives supérieures ne sont guère employées à protéger la vie.

L’humain provoque la sixième extinction d’espèces et crée des conditions interdisant les évolutions futures des formes de vies, car il pille la terre, l’empoisonne, y déménage tout ce qui ne lui est pas immédiatement profitable.

Animal dénaturé, il ne supporte pas la nature et par peur, par cruauté, par cupidité, il détruit méticuleusement toutes les espèces avec lesquelles il aurait pu cohabiter.

Croissance démographique explosive, voracité, mépris du vivant, omniprésence dans tous les milieux, générateur de déchets qui transforment la planète en poubelle toxique, l’homme compromet la viabilité du globe.

Du haut des tribunes des colloques, scientifiques, associatifs, politiciens déplorent la mort de la biodiversité, mais dans les faits qui seuls comptent, l’économie prévaut sur l’écologie, les profits des firmes sur la préservation des espèces et des milieux et les humains aseptisent leurs jardins, s’effraient devant la présence d’un animal sauvage dans leur proximité invitant la faune à se faire protéger ailleurs.

Trop de nos contemporains, par ignorance crasse, demeurent des ennemis de la terre, incapables de vivre dans un espace partagé avec les autres espèces.

Mais ce qui échappe aux observateurs, c’est que le grand déprédateur pourrait être victime de son hubris, de sa démesure et de son manque de maîtrise de sa main-mise sur le monde.

Plusieurs périls le menacent :


 

1° Les périls environnementaux :

Altération du climat, épuisement des ressources naturelles, intoxication de l’eau et de l’air, épuisement de la biodiversité, possibilité d’un virus mutant pandémique dont la virulence pourrait anéantir les populations avant que les laboratoires trouvent la parade.

Une densité excessive, des mouvements massifs de populations, des migrations, le tourisme calamiteux créent les conditions propices à l’émergence de telles pandémies.

Actuellement, le Système consomme, chaque année, 1,6 de ce que produit la planète.

Or, le Système n’est « libéral » qu’en ce sens qu’il veut que l’individu s’enrichisse sans cadre, sans frein, sans limite. En revanche, il cesse de célébrer la liberté si celle-ci porte atteinte à la finance et aux privilégiés.

Toute tentative d’alternative est tuée dans l’œuf par la finance, maître du monde.


 

2° Des périls technologiques et politiques :

La science et la technologie de demain peuvent considérablement améliorer le sort des hommes en faisant reculer la souffrance et la mort, mais elles peuvent aussi échapper au contrôle et au lieu de vaincre le vieillissement, le cancer et autres pathologies, créer des déséquilibres sociaux et économiques insurmontables et irréversibles.

Le bilan désastreux de l’humain, avec les guerres, les génocides, l’esclavage, la chasse, ne mérite guère un culte. Le posthumanisme peut être une chance s’il débouche sur la valorisation du vivant.

Mais les firmes, la finance peuvent inversement confisquer et instrumentaliser la science pour leurs seuls profits, donc pour la mort.

Le Système dit « libéral » ne peut survivre qu’avec une croissance quantitative infinie. Sans croissance, pas de dividendes pour les actionnaires, pas de bonus pour les oligarques, car ces gains reposent sur les intérêts de cette croissance, par ailleurs insupportable pour la terre.

Les écarts sociaux vont eux aussi croissants et la logique du Système implique cette dérive. Pour la pseudo-science économique, les salaires sont des coûts qu’il faut réduire sans cesse, et les dividendes et bonus des profits, qu’il faut augmenter indéfiniment.

Qu’adviendra-t-il à la fin du siècle ?

Disons-le clairement, le contemporain n’en a guère le souci. Il sait qu’il sera mort, et pour longtemps ! Alors, l’avenir n’est qu’une préoccupation théorique. Si la biologie permettait, un jour, de prolonger la vie individuelle de plusieurs siècles, cela modifierait radicalement l’approche du futur par la personne. En 2100, l’individu serait toujours là pour vivre le changement climatique et les aléas de la biosphère.


 

3° Des affrontements meurtriers définitifs :

La modernité génère une société plus libre, des individus émancipés, une remise en cause des vieilles lunes religieuses. Or, l’homme est-il assez fort pour assumer cette liberté ?

Les réactions obscurantistes terroristes auxquelles nous assistons pourraient révéler une incapacité d’une fraction importante de notre espèce de vivre cette émancipation par rapport aux mythes.

Des massacres sans précédent pourraient résulter de cette confrontation de la raison et de la foi.

Par sa démographie galopante et la fragilité de la société technologisée, une guerre des civilisations serait plus destructrice que les guerres du 20ème siècle, déjà si meurtrières.

Il ne s’agit pas là d’un scénario catastrophe, mais d’une simple conjecture que nous pouvons éviter.

Comment ?

En changeant de paradigme, en mettant le vivant au centre des valeurs, en utilisant notre génie au service de ce qui ajoute du bonheur, du plaisir, du bien-être pour tous et non des profits pour quelques milliers d’oligarques sur la planète, en assumant des idées fortes et claires, en éclairant les hommes au lieu de flatter ceux qui détruisent la nature et qui croupissent dans des superstitions farfelues.

Homo Sapiens est apparu il n’y a qu’un instant, au regard des temps géologiques. Sur le calendrier cosmique élaboré par l'astrophysicien André Brahic et compressé sur la durée d'une année terrestre, les dinosaures sont restés sur Terre durant 3 jours alors que nous n’y sommes que depuis 1h30 ! !

L'humain sera-t-il une impasse, une tentative avortée de la vie d’enfanter un agent bienveillant de la grande aventure de l’évolution ?

Le Système déprédateur, exploiteur, spéculatif disparaîtra-t-il avant l’anéantissement ?

Le défi est muter ou disparaître.

Je savoure les injonctions qu’adresse aux citoyens du monde 

l’ONG Californienne mesurant le jour de dépassement (2 août cette année).

Pour remédier aux menaces planant sur le vivant, elle somme les humains responsables de :

--- Faire moins d’enfants, ce qui ne signifie pas faire moins l’amour !

--- Ne pas prendre l’avion, ce qui n’interdit pas de contempler la nature près de chez soi !

--- Consommer moins de viande, ce qui ne nuira pas à la santé !

--- Privilégier le bio, ce qui ne fera pleurer que les lobbies agrochimistes !


 

Question :

Connaissez-vous beaucoup d’amis du vivant qui célèbrent ces vertus ?

Et puis, j’ajouterai, en impératif premier :

Accueillir avec bienveillance la nature chez soi !


 

 

Gérard CHAROLLOIS

TEL 06 76 99 84 65

CONVENTION VIE ET NATURE ( www.ecologie-radicale.org )

FORCE POUR LE VIVANT ( http://gerardcharollois2017.fr/2017/01/13/force-pour-le-vivant/ )

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5 janvier 2015 1 05 /01 /janvier /2015 10:29

L’explosion de la consommation dans le monde actuel fait plus de bruit que toutes les guerres et crée plus de tapage que tous les carnavals. Comme dit un vieux proverbe turc, « qui boit en compte, se soûle deux fois plus ». Les festivités assomment et assombrissent la vision ; cette grande ivresse universelle semble ne pas avoir de limites dans le temps et dans l’espace. Mais la culture de la consommation raisonne beaucoup, comme le tambour, parce qu’elle est vide ; et à l’heure de vérité, quand le fracas cesse, que la fête se termine, l’ivrogne se réveille, seul, accompagné par son ombre et la vaisselle cassée qu’il doit payer. Le développement de la demande heurte les frontières que lui impose le même système qui la génère. Le système a besoin de marchés de plus en plus ouverts et plus grands, comme les poumons ont besoin de l’air, et en même temps il est nécessaire qu’ils soient au prix plancher comme le sont les prix des matières premières et de la force de travail. Le système parle au nom de tous, il donne à tous ses ordres impérieux de consommation, il diffuse parmi tout le monde la fièvre acheteuse ; mais, rien à faire : pour presque tous, cette aventure commence et finit sur l’écran du téléviseur. La majorité, qui s’endette pour avoir des choses, finit par avoir que des dettes pour payer les dettes qui génèrent de nouvelles dettes, et finit par consommer des illusions qu’il parfois matérialise en commettant un délit.

Le droit au gaspillage, privilège de certains, dit être la liberté de tous. Dis-moi combien tu consommes et je te dirai combien tu vaux. Cette civilisation ne laisse dormir ni les fleurs, ni les poules, ni les gens. Dans les serres, les fleurs sont soumises à une lumière continue, pour qu’elles grandissent plus vite. Dans les usines d’œufs, les poules sont aussi interdites de nuit. Et les gens sont condamnés à l’insomnie, par l’anxiété d’acheter et l’angoisse de payer. Ce mode de vie n’est pas très bon pour les gens, mais est très bon pour l’industrie pharmaceutique. Les Etats-Unis consomment la moitié des calmants, anxiolytiques et autres drogues chimiques vendues légalement dans le monde, et plus de la moitié des drogues interdites vendues illégalement, ce qui n’est pas rien si on tient compte du fait que les Etats-Unis rassemblent à peine cinq pour cent de la population mondiale.

« Malheureux ceux qui vivent en se comparant », regrettent une femme dans le quartier de Buceo, à Montevideo. La douleur ne pas être, que chantait le tango autrefois, a laissé la place à la honte de ne pas avoir. Un pauvre homme est un pauvre homme. « Quand tu n’as rien tu penses que tu ne vaux rien », dit un garçon dans le quartier de Ville Fiorito, à Buenos Aires. Et l’autre abonde, dans la ville dominicaine de San Francisco de Macorís : « Mes frères travaillent pour les marques. Ils vivent en achetant des étiquettes, et vivent en suant à grosse goutte pour payer les échéances ».

Violence invisible du marché : la diversité est ennemie de la rentabilité, et l’uniformité commande. A échelle gigantesque, la production en série impose partout ses règles obligatoires de consommation. Cette dictature de l’uniformisation obligatoire est plus dévastatrice que n’importe quelle dictature de parti unique : elle impose, dans le monde entier, un mode de vie qui reproduit les êtres humains comme des photocopies du consommateur exemplaire.

Le consommateur exemplaire est l’homme tranquille. Cette civilisation, qui confond la quantité avec la qualité, confond l’obésité avec la bonne alimentation. Selon la revue scientifique The Lancet, durant la dernière décennie l’ « obésité grave » a progressé de presque 30 % parmi la population jeune des pays les plus développés. Pour les enfants nord-américains, l’obésité a augmenté de 40 % dans les 16 dernières années, selon l’enquête récente du Centre de Sciences de la Santé de l’Université du Colorado. Le pays qui a inventé la nourriture et des boissons light, le diet food et les aliments fat free, a le plus grand nombre de gros du monde. Le consommateur exemplaire descend seulement de la voiture pour travailler et pour regarder la télévision. Installé devant le petit écran, il passe quatre heures quotidiennes en dévorant de la nourriture en plastique.

Les ordures déguisées en nourriture triomphent : cette industrie conquiert les palais du monde et réduit en lambeau les traditions de la cuisine locale. Les coutumes du bon manger qui viennent de loin, ont, dans quelques pays, des milliers d’années de raffinement et de diversité, et c’est un patrimoine collectif qui est de quelque façon dans les fourneaux de tous et pas seulement sur la table des riches. Ces traditions, ces signes d’identité culturelle, ces fêtes de la vie, sont écrasées, de manière foudroyante, par l’introduction du savoir chimique et unique : la mondialisation du hamburger, la dictature du fast food. La plastification de la nourriture à échelle mondiale, œuvre de McDonald’s, de Burger King et autres usines, viole dans sa réussite le droit à l’autodétermination de la cuisine : un droit sacré, parce que dans la bouche, l’âme a l’une de ses portes.

La coupe du monde de football de 98 nous a confirmé, entre d’autres choses, que la carte MasterCard tonifie les muscles, que Coca-Colaoffre une jeunesse éternelle et que le menu McDonald’s ne peut pas être absent du ventre d’un bon athlète. L’immense armée deMcDonald’s lance des hamburgers dans la bouche des enfants et des adultes sur la planète entière. Le double arc de ce M a servi d’étendard, pendant la récente conquête des pays de l’Europe de l’Est. Les queues devant le McDonald’s de Moscou, inauguré en 1990 en fanfare, ont symbolisé la victoire d’Occident avec autant d’éloquence que la chute du Mur de Berlin.

Signe des temps : cette entreprise, qui incarne les vertus du monde libre, refuse à son personnel la liberté de s’affilier à quelque syndicat.McDonald’s viole, ainsi, un droit légalement consacré dans beaucoup de pays où il est présent. En 1997, plusieurs salariés, membres de ce que l’entreprise appelle la Macfamille ont essayé de se syndiquer dans un restaurant du Montréal au Canada : le restaurant a fermé. Mais en 1998 d’autres employés de McDonald’s, dans une petite ville proche de Vancouver, ont obtenu cette conquête, digne du Guinness Book.

Les masses consommatrices reçoivent des ordres dans une langue universelle : la publicité a obtenu ce que l’espéranto a voulu et n’a pas pu. N’importe qui comprend, dans tout lieu, les messages que le téléviseur transmet. Dans le dernier quart de siècle, les dépenses de publicité ont doublé dans le monde. Grâce à elles, les pauvres enfants prennent de plus en plus Coca-Cola et de moins en moins de lait, et le temps de loisir devient un temps de consommation obligatoire. Temps libre, temps prisonnier : les logements très pauvres n’ont pas de lit, mais ont un téléviseur, et le téléviseur a la parole. Acheté à crédit, cette bestiole prouve la vocation démocratique du progrès : il n’écoute personne, mais parle pour tous. Pauvres et riches connaissent, ainsi, les vertus des voitures dernier modèle, et pauvres et riches connaissent les taux d’intérêt avantageux que telle ou telle banque offre.

Les experts savent transformer les marchandises en ensembles magiques, contre la solitude. Les choses ont des attributs humains : nourrissent, accompagnent, comprennent, aident, le parfum t’embrasse et la voiture est l’ami qui ne faillit jamais. La culture de la consommation a fait de la solitude le plus lucratif des marchés. Les trous de l’âme se remplissent en les bourrant des choses, ou en rêvant de le faire. Et les choses ne peuvent pas seulement embrasser : peuvent aussi être des symboles d’ascension sociale, des sauf-conduits pour traverser les douanes de la société de classes, des clefs qui ouvrent les portes défendues. Plus elles sont exclusives, mieux c’est : les choses te choisissent et te sauvent de l’anonymat populaire. La publicité n’informe pas du produit qu’elle vend, ou elle le fait rarement. C’est le moins important ! Sa fonction primordiale consiste à compenser des frustrations et à nourrir des illusions : En qui voulez-vous vous transformer en achetant cet après rasage ?

Le criminologue Anthony Platt a observé que les délits dans la rue ne sont pas seulement le fruit de la pauvreté extrême. C’est aussi un fruit de l’éthique individualiste. L’obsession sociale du succès, dit Platt, affecte de manière décisive l’appropriation illégale des choses. J’ai toujours entendu dire que l’argent ne fait pas le bonheur ; mais tout téléspectateur pauvre a de nombreux motifs de croire que l’argent produit quelque chose de semblable, que la différence est un sujet de spécialistes.

Selon l’historien Eric Hobsbawm, le XXe siècle a mis fin à 7 000 ans de vie humaine centrée sur l’agriculture depuis que sont apparues les premières cultures, à la fin du paléolithique. La population mondiale s’est urbanisée, les paysans deviennent citadins. En Amérique Latine nous avons des terres sans personne et d’énormes fourmilières urbaines : les plus grandes villes du monde, et les plus injustes. Expulsés par l’agriculture moderne d’exportation et par l’érosion de leurs terres, les paysans envahissent les banlieues. Ils croient que Dieu est partout, mais par expérience ils savent qu’il se soucie des grandes villes. Les villes promettent travail, prospérité, un avenir pour les enfants. Dans les champs, ceux qui attendent regardent passer la vie, et meurent en bâillant ; dans les villes, la vie arrive et appelle. Entassés dans des taudis, la première chose que découvrent les nouveaux venus, c’est que le travail manque et qu’il y a des bras en trop, que rien n’est gratuit et que les articles de luxe les plus chers sont l’air et le silence.

Tandis que naissait le XIVe siècle, le frère dominicain Giordano da Rivalto a prononcé à Florence un éloge des villes. Il a dit que les villes grandissaient « parce que les gens ont le goût de se rejoindre ». Se rejoindre, se trouver. Maintenant : qui se trouve avec qui ? L’espoir rencontre t-il la réalité ? Le désir, se trouve-t-il avec le monde ? Et les gens, se trouvent-t-ils avec les gens ? Si les relations humaines ont été réduites à des relations entre des choses : combien de gens se trouvent avec les choses ?

Le monde entier tend à devenir un grand écran de télévision, où les choses se regardent mais ne se touchent pas. Les marchandises offertes envahissent et privatisent les espaces publics. Les stations d’autobus et de trains, qui étaient jusqu’à il y a peu des espaces de rencontre entre des personnes, deviennent maintenant des espaces d’exhibition commerciale.

Le shopping center, ou shopping mall, la vitrine de toutes les vitrines, impose sa présence envahissante. Les foules vont, en pèlerinage, à ce temple majeur de la consommation. La majorité des dévots contemplent, en extase, les choses que leurs poches ne peuvent pas payer, tandis que la minorité acheteuse se soumet au bombardement de l’offre incessante et exténuante. La foule, qui monte et descend par les escaliers roulants, voyage par le monde : les mannequins habillés comme à Milan ou à Paris et les machines sonnent comme à Chicago, et pour voir et entendre, il n’est pas nécessaire de payer une entrée. Les touristes venus de l’intérieur, ou des villes qui n’ont pas encore méritées ces bénédictions du bonheur moderne, posent pour la photo, au pied des marques internationales les plus fameuses, comme avant , ils posaient au pied de la statue d’une personnalité sur la place. Beatriz Solano a observé que les habitants des quartiers suburbains se rendent au center, au shopping center, comme avant ils se rendaient au centre. La promenade traditionnelle du week-end au centre de la ville, tend à être substituée par l’excursion à ces centres urbains. Lavés et repassés et coiffés, habillés avec leurs vêtements du dimanche, les visiteurs viennent à une fête où ils ne sont pas conviés, mais ils peuvent être les badauds. Des familles entières font le voyage dans la capsule spatiale qui parcourt l’univers de la consommation, où l’esthétique du marché a dessiné un paysage hallucinant de modèles, des marques et des étiquettes.

La culture de la consommation, la culture de l’éphémère, condamne tout à la désuétude médiatique. Tout change au rythme vertigineux de la mode, mise au service de la nécessité de vendre. Les choses vieillissent en un clin d’œil, pour être remplacées par d’autres choses à la vie fugace. Aujourd’hui, l’unique chose qui reste est l’insécurité ; les articles, fabriqués pour ne pas durer, semblent aussi volatils que le capital qui les finance et le travail qui les génère. L’argent vole à la vitesse de la lumière : hier il était là-bas, aujourd’hui il est ici, demain qui sait, et tout travailleur est un chômeur en puissance. Paradoxalement, les shoppings centers, les royaumes de la fugacité, offrent l’illusion la plus réussite de sécurité. Ils résistent en dehors du temps, sans âge et sans racine, sans nuit et sans jour et sans mémoire, et existent en dehors de l’espace, au-delà des turbulences de la dangereuse réalité du monde.

Les propriétaires du monde utilisent le monde comme s’il était jetable : comme une marchandise à la vie éphémère, qui s’épuise comme s’épuisent, à peine nées, les images que lance la mitrailleuse de la télévision et les modes et idoles que la publicité lance, sans trêve, sur le marché. Mais, dans quel autre monde allons-nous aller ? Sommes- nous tous obligés à croire le conte selon lequel Dieu a vendu la planète à quelques entreprises, parce qu’ étant de mauvaise humeur il a décidé de privatiser l’univers ? La société de consommation est un piège attrape-nigaud. Ceux qui ont la manette, feignent de l’ignorer, mais n’importe qui, qui a des yeux dans le visage peut voir que la majorité des gens consomme peu, un petit peu ou presque rien nécessairement, pour garantir l’existence de ce peu de nature qui nous reste. L’injustice sociale n’est pas une erreur qu’il faut corriger, ni un défaut qu’il faut surpasser : c’est une nécessité essentielle. Il n’y a pas de nature capable de nourrir un shopping center de la taille de la planète.

Eduardo Galeano

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 26 décembre 2014.

http://www.elcorreo.eu.org/L-empire-de-la-consommation-par-Eduardo-Galeano

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