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18 janvier 2016 1 18 /01 /janvier /2016 10:20

LE PLUS. À Rennes, un essai thérapeutique a viré au drame. Six hommes ont été hospitalisés, dont l'un en état de mort cérébrale, après avoir testé un médicament psychotrope. Comment est-ce possible ? Faut-il remettre en cause les essais cliniques ? Et que dire de l'expérimentation animale ? Réponse d'Audrey Jougla, auteur de "Profession : animal de laboratoire" (Autrement).

Édité et parrainé par Louise Auvitu

Essai thérapeutique à Rennes : hommes ou animaux, il faut protéger davantage les "cobayes".

Une personne en état de mort cérébrale, cinq autres hospitalisées, dont quatre avec des troubles neurologiques : voilà le bilan dramatique pour ces hommes sains de 25 à 49 ans et victimes des effets secondaires imprévus de la molécule Bia 10-2474 testée sur des humains par la firme Biotrial à Rennes.

 

"Il n’y a jamais eu un événement aussi grave en France" concernant des essais cliniques, a déclaré l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

 

Alors que deux enquêtes sont ouvertes pour déterminer comment l’essai thérapeutique a été mené et quelles sont les causes de ces effets imprévus, se pose aussi la question de l’expérimentation animale, la grande absente des médias pour l’heure.

 

Peu de ratés, mais ils existent

 

L’histoire médicale n’a de cesse de mettre en avant les découvertes médicales liées à l’expérimentation animale. Ce qu’elle dit moins, ce sont ses ratés.

 

Les victimes des effets secondaires de médicaments, tous testés avec succès sur les animaux, car il s’agit d’une obligation légale pour leur commercialisation, sont les seules à en faire les frais. Les victimes n’ont, en dehors des procès intentés contre les laboratoires, que très peu de possibilités pour rendre ce débat public.

 

Ce n’est que lors de scandales récents aussi graves que celui de l’hexamethonium, en 2001 aux États-Unis à l’Université John Hopkins, qui conduit au décès d’Ellen Roche, patiente de 24 ans, ou celui duTGN1412 en 2006 en Angleterre, où six patients sont placés en soins intensifs, que l’opinion publique peut prendre conscience du danger des essais cliniques.

 

Et par là même, du risque que représente l’expérimentation animale, car ses médicaments avaient réussi la phase d’expérimentation sur les animaux.

 

"L’expérimentation animale n’est pas transposable systématiquement à l’homme"

 

Question de dosage ? Non, justement. Comme l’expliquait samedi Claire Lejeunne, chef de médecine interne à l’hôpital Cochin, les doses sont bien plus faibles sur les cobayes humains que sur les animaux :

 

"On ne peut pas parler de surdosage car les posologies sont dix fois plus faibles que la posologie théoriquement toxique pour l’animal."

 

Mais c’est bien le modèle animal qui est en jeu : "malheureusement, l’expérimentation animale n’est pas transposable systématiquement à l’homme", précisait-elle à l’antenne d’Europe 1.

 

Comme dans tout scandale sanitaire, les premiers éléments de langage politiques vont tenter de rassurer les citoyens sur l’encadrement de la firme. Contrôlé en 2014, Biotrial fait figure de référence en la matière.

 

"Ce laboratoire était un laboratoire connu pour le sérieux des études qu'il mène. Cela n'empêche pas que toutes les questions seront posées", déclare ainsi la ministre de la Santé Marisol Touraine vendredi.  

 

Les animaux comme bouclier ? Pas toujours...

 

Le passage du modèle animal au modèle humain reste une inconnue, et le bouclier que les animaux sont censés être pour nous protéger des effets secondaires ne saurait être systématique, comme ce que le grand public imagine. 

 

Il s’agirait même d’un tâtonnement selon Claude Reiss, ancien directeur de recherche au CNRS et président de l’association scientifique Antidote Europe, et André Ménache, vétérinaire et directeur scientifique d’Antidote. Ils dénoncent la manière dont une espèce animale peut remplacer une autre lors des essais précliniques.

 

Le 4 janvier, Antidote Europe publiait justement la traduction française de l’article de la neurophysiologiste Aysha Akhtar – "Comment la recherche animale nuit à l’homme" – qui remet en question la viabilité du modèle animal et sa capacité à être prédictif [1].

 

"Quoiqu’il ressorte de l’enquête, il est clair que les essais précliniques de toxicité menés par Bial ont été tragiquement inappropriés. Le modèle animal qui a été utilisé n’a pas pu être prédictif quant aux effets désastreux que les volontaires ont subis à Rennes" [2], sanctionnent John Brosky and Cormac Sheridan dans Bioworld.

La molécule Bia 10-2474 avait été testée sur des chimpanzés

 

Dans le cadre du Bia 10-2474, les essais ont été menés sur des chimpanzés. Depuis l’entrée en application en 2013 de la directive européenne 2010/63/UE, qui réglemente l’utilisation des animaux à des fins scientifiques, il est interdit de mener des expériences sur les grands singes pour des raisons éthiques (et non pas scientifiques) de proximité avec l’homme et d’aptitudes sociales et comportementales.

 

Mais on connaît moins ces deux exceptions légales : la législation juge donc éthiques les expériences sur les grands singes pour des "recherches visant à la préservation de ces espèces, et lorsque des actions concernant une affection potentiellement mortelle ou invalidante frappant l’homme s’imposent, et qu’aucune autre espèce ni méthode alternative ne suffirait pour répondre aux besoins de la procédure."  

 

La molécule Bia 10-2474 entrerait donc dans cette seconde catégorie : c’est-à-dire que le chimpanzé était la seule espèce permettant les essais pour passer en phase 1 sur l’homme en sécurité.

 

Le citoyen s'en remet à l'expertise du scientifique

 

Les firmes pharmaceutiques doivent fournir des données de toxicité pour un rongeur et un non-rongeur. Si les deux espèces tolèrent bien le nouveau médicament, ces données sont soumises à  l’autorité de réglementation en vue d’obtenir la permission de procéder aux essais sur l’homme, les essais de phase 1, sur des volontaires sains.

 

"Toutefois, si une seule des deux espèces animales tolère bien le médicament, la firme qui effectue les tests est autorisée, en fait, obligée à trouver une autre espèce animale de sorte que les données obtenues sur le rongeur et celles obtenues sur le non-rongeur concordent et respectent les critères de 'sûreté' des médicaments", explique André Ménache.

 

"Ainsi, des souris peuvent remplacer des rats, ou bien, des singes être utilisés à la place des chiens. Les autorités de réglementation font confiance aux firmes pour choisir le modèle animal le plus 'approprié' pour tester leur candidat médicament", poursuit-il.

 

Ces expériences ne sont jamais vulgarisées, elles n’intéressent pas le grand public : en tant que non scientifique, le citoyen décide de s’en remettre à la législation et d’estimer que si les essais cliniques sont autorisés c’est que le risque est vraiment limité.

 

La non-expertise du citoyen en matière de santé le conduit donc à s’en remettre à celle du scientifique. C’est une vision plutôt particulière de la démocratie.

 

Cobayes motivés par des rémunérations alléchantes

 

En phase 1, le risque est limité ou inexistant : c’est en tout cas ce que parviennent à penser les volontaires, et ce que disent ceux que les médias interrogent depuis vendredi.

 

Les risques étaient pour eux nuls ou infimes, et ils n’en ont pris la mesure qu’aujourd’hui. C’est le cas d’Alfred, interviewé par BFMTV, qui précise que le protocole est strict, mais que si les effets secondaires sont précisés aux volontaires, le risque, lui reste incalculable et qu’il ne renouvellerait pas ses essais aujourd’hui.

 

L’affaire de Biotrial pose alors la question du consentement éclairé des cobayes humains et de leurs motivations. Avec des rémunérations alléchantes, pouvant tourner autour de 2.000 ou 3.000 euros pour une étude (l’essai pour le Bia 10-2474 était indemnisé 1.900 euros), la tentation du complément de revenu est évidente, même si les laboratoires préfèrent la nier.

 

Les laboratoires recherchant des volontaires les invitent à contribuer au progrès de la recherche, dans une visée philanthropique totalement dépourvue d’intérêt économique, préférant défendre cette motivation bien plus noble et acceptée. C’est ce que s’est empressé de réitérer Biotrial vendredi.

 

Défendre les animaux, c'est aussi défendre l'homme

 

Cette constante vise à étouffer ce tabou : être rémunéré pour être cobaye.

 

L’histoire de l’expérimentation médicale a une constante peu glorieuse. Les cobayes humains ont toujours été des êtres jugés inférieurs par ceux qui expérimentent, que cette infériorité soit liée à leur origine sociale, leur mœurs, leur race, leur sexualité ou leur marginalité. Prostitués, orphelins, déficients mentaux, détenus, homosexuels, juifs, handicapés, indigènes : le panorama est édifiant [3]. "On expérimente les remèdes sur des personnes de peu d’importance", écrivait Furetière en 1690. Autre point commun : l’absence de consentement.

 

Les cobayes animaux sont aujourd’hui ces êtres non-consentants et inférieurs qui souffrent pour nous, mais dans quelle mesure sont-ils des modèles pertinents ? Dans quelle mesure leur souffrance évite la nôtre ?

 

Ce que semble nous apprendre ce drame de la molécule Bia 10-2474, c’est que défendre les cobayes est une même cause, qu’il soit humains ou animaux. Et que peut-être défendre les animaux revient à défendre l’homme. Posons-nous en tout cas cette question. 

 

 

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 [1] "The Flaws and Human Harms of Animal Experimentation", Monitoring Editor : TOM L. BEAUCHAMP and DAVID DeGRAZIA, Guest Editors , Aysha AkhtarCamb Q Healthc Ethics. 2015 Oct; 24(4): 407–419).

[2] "Whatever the outcome of the investigation, it is clear at this point that the preclinical toxicity testing undertaken by Bial was tragically inadequate. The animal models it used were unable to predict the disastrous effects that the trial volunteers experienced in Rennes."

[3] "Les corps vils, Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles", Grégoire Chamayou

 

LE PLUS. À Rennes, un essai thérapeutique a viré au drame. Six hommes ont été hospitalisés, dont l'un en état de mort cérébrale, après avoir testé un médicament psychotrope. Comment est-ce possible ? Faut-il remettre en cause les essais cliniques ? Et que dire de l'expérimentation animale ? Réponse d'Audrey Jougla, auteur de "Profession : animal de laboratoire" (Autrement).

Édité et parrainé par Louise Auvitu

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