Corrida ou foie gras ?
Par PIERRE JOUVENTIN Directeur de recherches au CNRS
Le Conseil constitutionnel a refusé, vendredi, de condamner la corrida, ce que demandaient les associations de défense des animaux. Le même jour, en Californie, le tribunal de Los Angeles a refusé de revenir sur son interdiction de produire et vendre du foie gras, ce que demandaient les producteurs qui l’estimaient contraire aux lois du commerce et donc inconstitutionnelle ! La souffrance animale était condamnée au-delà de l’Atlantique le jour où une plus grande encore était encouragée chez nous. Ce télescopage pédagogique relativise l’échec des anticorridas qui sont pourtant majoritaires dans notre pays d’après les sondages. Vu la composition du Conseil constitutionnel, c’était prévisible mais c’est néanmoins un succès en matière de communication puisque presque tous les médias ont invité les défenseurs des animaux à s’exprimer. Comment se fait-il que la défense des animaux qui fait la loi dans un pays ami soit considérée comme une lubie sectaire chez nous ?
Peu de nos compatriotes savent que, depuis quarante ans, se développe dans les pays anglophones un mouvement dit «de libération animale» qui se veut l’héritier des mouvements anti-esclavagistes, antiracistes et féministes. Alors que chez nous, les droits de l’homme sont opposés à ceux de l’animal, ils sont là-bas considérés comme complémentaires et, dans les universités nord-américaines, on enseigne la philosophie environnementale, l’éthique animale et le droit animalier. Est-ce, chez nous, un reliquat de la tradition rurale et du cartésianisme qui niait la pensée et la souffrance animales ? Pourtant, les connaissances scientifiques, en particulier en éthologie, ont démontré que cette vision est erronée et dépassée. Darwin a mis un siècle pour percer dans notre pays mais tout homme cultivé sait que l’homme a une origine animale et qu’à peine plus de 1% de notre ADN nous différencie des chimpanzés. Cela ne signifie pas que nous sommes semblables mais que nous en sommes très proches morphologiquement et aussi psychologiquement. Il ne faut pas désespérer puisque cette année l’agrégation de philosophie a ajouté dans son programme la relation homme - animal. Les politiques sont en retard sur les citoyens qui se désintéressent de plus en plus de ces loisirs de mort. Claude Lévi-Strauss qualifiait d’«humanisme dévergondé» cette opposition entre l’homme et l’animal. Il estimait que nous avions créé une frontière artificielle qu’il a suffi de déplacer pour inclure, dans la catégorie des êtres inférieurs, ceux que nous voulions exploiter sans problème de conscience, que ce soit la femme, le juif, le Noir ou l’animal.
Auteur de : «Kamala, une louve dans ma famille» http://kamala-louve.fr/
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Une tradition absolutiste
Par Gérard Charollois, David Chauvet et Armand Farrachi
«Faire confiance à la justice de son pays», croire que le bien public triomphe de l’arbitraire, c’est ce à quoi pouvaient s’attendre les associations qui jugeaient légitime de rendre inconstitutionnels et, donc illégaux, des actes de cruauté punis sur tout le territoire, et qui ont demandé au Conseil constitutionnel, la plus haute autorité juridique du pays, de constater l’inconstitutionnalité de la corrida, même en cas de «tradition locale ininterrompue». Lorsqu’il s’agissait de remettre en cause la loi sur le harcèlement sexuel, les juges constitutionnels - des hommes pour la plupart - avaient argué de son imprécision pour la censurer. Aujourd’hui, bien que certains tribunaux admettent la résurrection de la corrida après plus de soixante-dix ans d’interruption, comme à Alès, et malgré les fluctuations jurisprudentielles, déclarant que «la seule absence ou disparition d’arènes en dur ne peut être considérée comme la preuve évidente de la disparition d’une tradition», l’existence d’un «club taurin» suffisant à l’établir, le Conseil juge «non équivoque» la notion de «tradition locale ininterrompue». Selon quel critère ? Qu’est-ce qui distingue l’arbitraire du raisonnable, «l’équivoque» de «l’évident» ? Le Conseil est muet sur ce point. Si la corrida est délictueuse ici et pas ailleurs, c’est donc uniquement parce qu’il en décide ainsi. Il est vrai que les «sages» ne sont pas tous ces juristes de haut niveau que la fonction, en bonne logique, appellerait dans un Etat de droit, et ils n’ont pas été nécessairement choisis pour leur compétence juridique. Issus de nomination politique, plusieurs sont connus pour leur proximité avec des lobbies, comme celui de la chasse.
Une justice indépendante ne peut servir à légitimer le bon plaisir du prince, de ses féodaux, des lobbies, d’autant qu’en l’espèce, ce Conseil statue sans recours juridique possible. Cette décision, mieux qu’aucune autre, pointe une aberration juridique. L’intérêt de la «classe politique» pour les spectacles sanglants, corrida ou chasse à courre, étant proportionnel à la réprobation qu’ils suscitent dans la «société civile», comme on appelle maintenant le tiers état, ce pays n’a donc pas seulement un problème avec l’éthique, mais aussi avec la séparation des pouvoirs évoquée par Montesquieu. Ce n’est pas même que les tortionnaires sont tolérés par le pouvoir, ils siègent au pouvoir, à la table des ministres, dans les tribunaux, etc. La France, ci-devant «patrie des droits de l’homme», est bien un des pays les moins démocratiques et les plus rétrogrades d’Europe, non pas seulement sur la condition animale, mais aussi sur les droits de ceux qui les défendent, eux-mêmes soutenus par la majorité des Français. Le camouflet du 21 septembre concerne à la fois les défenseurs des animaux et les défenseurs de la démocratie. Il ne reste plus qu’à conseiller à ceux qui brûlent des voitures dans l’Est de la France les soirs de réveillon de tenir bon, jusqu’à ce qu’ils puissent faire valoir une «tradition locale ininterrompue» devant les sages.
(1) A déposé, avec d’autres, la Question prioritaire de constitutionnalité sur la corrida.
Gérard Charollois Président de la Convention vie et nature, David Chauvet Vice-président de l’association Droits des animaux (1) et Armand Farrachi Porte-parole du Collectif pour l’abolition de la chasse à courre
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Source :
http://www.liberation.fr/societe/2012/09/24/corrida-ou-foie-gras_848534
http://www.liberation.fr/societe/2012/09/24/une-tradition-absolutiste_848529